« Messieurs, deux menus ! Un artichaut, une gambas et deux brochets », « oui, chef ! ». Au restaurant étoilé La Mère Brazier, en plein cœur de Lyon, les petites mains s’activent.
Trente-six personnes sont attablées, ce mardi 9 avril 2024 au midi. Et en cuisine, il n’y a « pas une minute à perdre », rappelle à intervalles réguliers le chef Mathieu Viannay.
L’un des cinq meilleurs restaurants au monde
Depuis 2008, ce Meilleur Ouvrier de France tient les rênes d’une des plus mythiques institutions lyonnaises, qui compte deux étoiles au Guide Michelin.
Sous sa coupe, La Mère Brazier est devenue en 2024 la cinquième meilleure table du monde, selon le classement La Liste. La recette du succès, Mathieu Viannay la connaît par cœur. Il dicte à la baguette, avec ses trois adjoints, « une organisation quasi-militaire ».
À lire aussi
« Tu peux rapidement te faire déborder »
« Chaque personne sait exactement ce qu’elle a à faire. En cuisine, tu peux rapidement te faire déborder », confirme Olivier Reverdy, chef exécutif et bras droit de Mathieu Viannay.
D’ailleurs, vingt minutes après le début du service, les bons de commande affluent. « Deux pâtés pour deux », réclame-t-il, dans un joyeux brouhaha de casseroles qui claquent.
En quelques minutes, deux assiettes rondes, aux bords incurvés, sont apportées au passe, la table qui sert de lien entre la cuisine et la salle. Un serveur, en costume bleu saphir, les emporte rapidement, sur un plateau.
Mais en cuisine, l’attention est déjà ailleurs. L’heure tourne. Le beurre frétille dans les poêles, la chaleur devient plus intense, la brigade se met en branle : c’est le coup de feu. « Là, ça va être le spectacle », promet Olivier Reverdy.
Du poisson comme signature
12h25, silence en cuisine. Mathieu Viannay, col bleu blanc rouge – une référence à son titre de Meilleur Ouvrier de France – parfaitement ajusté, prend la parole. « Il me faudra 18 pains de poisson. » Moment de tension : ce plat est l’une des signatures de la maison.
L’heure de grâce surtout, pour Nicolas Ferrand, le chef de partie chargé de le réaliser. « Le pain de brochet, c’est ma spécialité », clame-t-il, fièrement. En un instant, tous les ingrédients sont disposés sur un plan de travail en inox. D’un coup de couteau aiguisé, Nicolas Ferrand réajuste une tranche de pain de mie, avant de recouvrir une farce de brochet. Le geste est répétitif, savamment appris. « Maintenant, je vais ajouter un insert à l’intérieur. »
Pas de temps à perdre, il est temps de passer à la cuisson. En quelques secondes, ce petit pain rectangulaire aux extrémités arrondies est fin prêt.
Sans attendre, en un claquement de mains, le chef exécutif Olivier Reverdy appelle ses serveurs. « Où sont-ils nos copains ? », s’impatiente-t-il. En cuisine, comme en service, le temps a son importance.
Du pain sur la planche
Les minutes filent et le rythme s’accélère. Au « chaud », une des parties de la cuisine dédiée aux plats, c’est la course, quarante minutes après le début du service. « Allez messieurs, en marche », encourage le chef Mathieu Viannay, tout en sondant la chaleur des fours. Pommes de terre, lentilles, légumes : les garnitures se préparent. « Il ne faut pas moins d’assaisonnement », fait-il remarquer, en goûtant à l’une d’elles.
Son instrument de mesure, c’est une petite cuillère. « On goûte à tout, ça permet d’éviter les erreurs », rajoute Olivier Reverdy, occupé à touiller une sauce translucide. « On l’a fait avec des coques d’oursins, c’est un délice », recommande-t-il.
À quelques mètres de lui, Mathieu Viannay jette un œil sur les casseroles. « Bastien, commence à monter tes assiettes et délègue des tâches à ton commis », ordonne-t-il. Action, réaction : ça s’active aux fourneaux. Les odeurs des légumes et des sauces embaument la cuisine : il va être temps d’envoyer.
Une très forte Exigence
« J’annonce, deux agneaux, un ris de veau », s’égosille Olivier Reverdy, l’œil toujours rivé sur les bons de commande. Dans son dos, le ballet des serveurs se poursuit. Implacable, droit dans ses chaussures de sécurité, il ne perd pas le cap. « Pour ne pas se planter, l’important, c’est la régularité », fait-il remarquer. Pourtant, l’atmosphère se tend. C’est l’heure du dressage.
Un travail à six mains commence, dirigé par Mathieu Viannay. Sous deux lampes chauffantes, des assiettes rondes sont disposées. En silence, presque religieusement, chacun accomplit sa tâche. Méticuleusement, Olivier Reverdy dépose une larme de sauce verte, sur un des coins de l’assiette.
Deux morceaux de viande sont ajoutés par un cuisinier, sous l’œil attentif de Mathieu Viannay. « Antonin, apporte-moi un peu de sauce », demande-t-il, d’un ton ferme. L’exigence jusque dans les moindres détails.
Une assiette, puis une deuxième : la cadence s’accélère encore. Dans le même temps, les dernières entrées sont envoyées. Pas de quoi semer la panique : l’ensemble est harmonieux.
« C’est comme cela que les étoiles se gagnent »
13h30, tout se calme. Les casseroles, encore fumantes, sont envoyées à la plonge. Les derniers plats sont dégustés en salle. Les fours se vident : l’heure est au rangement.
Olivier Reverdy passe dans les rangs. « Quand tout sera nettoyé, vous aurez fini », indique-t-il. Les pâtissiers ont pris le relais. « C’est à Rodolphe, mon chef pâtissier, de jouer », précise Mathieu Viannay.
Les premiers retours des clients tombent. « Ils se régalent chef », indique un serveur. Mais Mathieu Viannay pense déjà au prochain service. « On pourrait accompagner le lieu d’un dahl de lentilles », suggère Olivier Reverdy, les yeux rivés sur des feuilles blanches.
Le sens de l’anticipation : c’est l’art des grands restaurants. Car ce coup de feu, ces quelques heures d’intenses concentrations, c’est le quotidien de la brigade. « On est toujours forcé de penser à demain », se justifie Mathieu Viannay. « C’est comme cela que les étoiles se gagnent. »
GOUSSEAU Clement
Suivez toute l’actualité de vos villes et médias favoris en vous inscrivant à Mon Actu.