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Billet de blog 25 avril 2024

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Séparer écologie et santé : un aveuglement périlleux

Peut-on encore aujourd’hui parler d’écologie pendant près de deux heures sans jamais prononcer une seule fois le mot « santé » ? Il semble que les têtes de listes aux prochaines élections européennes n’aient guère de difficulté à réaliser pareille prouesse - ce qu’ils et elles ont fait le 16 avril dernier. Le cadrage politique et médiatique n’est dès lors pas seulement inadapté, il devient redoutablement périlleux. 

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Peut-on encore aujourd’hui parler d’écologie pendant près de deux heures sans jamais prononcer une seule fois le mot « santé » ? Si de nombreux chercheurs et chercheuses, d’associations, d’élus, estiment que non, il semble que les têtes de listes aux prochaines élections européennes n’aient guère de difficulté à réaliser pareille prouesse - ce qu’ils et elles ont fait le 16 avril dernier - quand bien même le débat portait entre autres sur les mobilités ou l’habitat, deux des principaux déterminants de santé.

Certes, les questions et la conduite du débat peuvent toujours orienter les propos. Mais les questions posées ne sont jamais des termes imposés et rien n’empêche de s’en écarter, d’autant plus quand il est question de ce qui est, rappelons-le, et avec toutes les réserves à porter à ces sondages, la première préoccupation des habitants et habitantes de ce pays : la santé.

Car les enjeux écologiques et environnementaux sont profondément et consubstantiellement des enjeux sanitaires, à la fois à court, moyen et long terme.

Rappelons par exemple que la pollution de l’air fait aujourd’hui près de 40 000 morts par an en France, c’est d’ailleurs le seul point mentionné durant le débat et par une seule candidate, Manon Aubry.

Rappelons aussi que l’exposition à des polluants menace la santé humaine, à un moment où des pollutions industrielles mettent en péril la potabilité de l’eau de certaines nappes phréatiques et alors que, dans le même temps, la qualité des eaux en bouteille est aussi mise en cause.

Rappelons que certains de ces polluants contribuent à dégrader la fertilité humaine, notamment du fait de l’exposition aux perturbateurs endocriniens. Rappelons enfin, que les vagues de chaleur qui vont s’intensifier et se multiplier – au même titre que d’autres évènements extrêmes – contribuent directement à une augmentation de la mortalité et à une dégradation de la santé des populations.

Or tous ces enjeux relèvent pour partie de compétences européennes qui, s’ils ne sont pas strictement des enjeux de soins, sont bel et bien des enjeux de santé, contribuant au tournant épidémiologique des dernières décennies, à savoir l’augmentation considérable de la prévalence des maladies chroniques.

Le cadrage politique et médiatique n’est dès lors pas seulement inadapté, il devient redoutablement périlleux.

Car à ne cantonner les enjeux de santé qu’à l’accès aux soins et à isoler les questionnements écologiques des enjeux sanitaires, le lien de causalité direct entre des politiques comme celle de l’habitat ou des transports d’une part et la santé d’autre part, est rendu totalement invisible alors qu’il est un élément crucial pour éclairer le débat public.

La crise écologique globale est une crise sanitaire, marquée par de fortes inégalités sociales et environnementales. Les conséquences politiques qui peuvent être tirées de ce constat ne sont pas neutres et les responsables politiques ne devraient pas pouvoir échapper à des questions sur les conséquences sanitaires des orientations qu’ils et elles défendent, surtout lorsqu’il est question d’écologie.

Gageons que les prochains débats ne laissent pas de côté cette question essentielle.

Pierre-André Juven
Adjoint au Maire de Grenoble en charge de la santé et sociologue

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