Dénoncer la société américaine en racontant le crime organisé

Don Winslow parle de son roman Cartel, au studio AOL à New York, le 16 juillet 2015. ©Getty - Mireya Acierto/Getty Images
Don Winslow parle de son roman Cartel, au studio AOL à New York, le 16 juillet 2015. ©Getty - Mireya Acierto/Getty Images
Don Winslow parle de son roman Cartel, au studio AOL à New York, le 16 juillet 2015. ©Getty - Mireya Acierto/Getty Images
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Le Garde des Sceaux a annoncé hier dans la « Tribune Dimanche » que le gouvernement allait créer un statut de repenti pour mener la guerre contre la drogue. Un terme qui nous conduit à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique !

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Le Garde des Sceaux a annoncé hier dans la Tribune Dimanche que le gouvernement allait créer un véritable statut de repenti pour mener la guerre contre la drogue. Un terme qui aurait pu nous conduire en Italie, mais qui nous a emmenés à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. Et plus exactement dans les pas d’Art Keller, le policier anti-drogue créé par Don Winslow pour son exceptionnelle trilogie sur le sujet : La Griffe du chien, Cartel et La Frontière.

Une fresque shakespearienne rédigée sur 20 ans

Il s'agit d'une fresque rédigée sur presque vingt ans qui raconte les trafics et les gangs ainsi que le combat vain des forces de police pour empêcher la drogue de pénétrer aux Etats-Unis. Tout cela est conçu sous la forme d’une tragédie shakespearienne pleine de trahisons et de corruption car, comme il l’écrit : « Chaque fois qu’un camé se plante une aiguille dans le bras, tout le monde gagne de l’argent. » Sans que cela ne gêne qui que ce soit sauf le moraliste qu’est Winslow quand il dénonce la société des Etats-Unis : « Quel degré de corruption doit atteindre une société pour que sa population éprouve le besoin de se défoncer afin d’échapper à la réalité, au sang versé et aux souffrances endurées par ses voisins ? »

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C’est une trilogie de plus de deux mille pages qu'il est impossible de résumer en quatre minutes. Je m’attacherai donc à Cartel, le deuxième de ces trois ouvrages. Il s’ouvre sur une scène de film, la chute d’un hélicoptère de la lutte anti-drogue touché par une roquette tirée par les narcos. Néanmoins, le cœur du roman est le combat sans fin que se livrent Art Keller, converti à l’apiculture dans un monastère mexicain, tant il a vu les travers de ses frères humains, et le prisonnier Adan Barrera, « patron de la drogue le plus puissant du monde », « l’homme qui avait unifié les cartels mexicains (…) qui attend le procès à grand spectacle qui l’enverra dans un autre enfer jusqu’à la fin de sa vie » . Adan Barrera qui obtient de se rendre aux obsèques de sa fille à San Diego, obsèques pendant lesquelles il promet deux millions de dollars à ceux qui exécuteront Art Keller, celui qui l’a arrêté.

Un roman à part parmi les livres sur le crime organisé

Cartel se distingue des romans classiques de la Mafia, comme Le Parrain, par l’ampleur de la documentation rassemblée en journaliste par Don Winslow, la profondeur des personnages mais aussi leur caractère désespéré : nous sommes très loin de l’usage joyeux des drogues tel que le décrivait Hunter Thompson dans Las Vegas Parano en 1972.

En effet, comme le dit Art Keller : « La prétendue guerre contre la drogue est une porte à tambour : vous faites sortir un gars, quelqu’un d’autre s’assoit sur la chaise vide en bout de table. Cela ne changera jamais, tant qu’existera un appétit insatiable pour les drogues. (…) Pas de vendeur sans acheteur. Le prétendu problème mexicain de la drogue est en fait le problème américain de la drogue. (…) Un monde sans fin, amen. »

Dans leur guerre contre la drogue, les Etats-Unis ne s’interrogent ni sur leur propre responsabilité, ni sur les dégâts qu’ils provoquent autour d’eux :

« Le Mexique, patrie des pyramides et des palais, des déserts et des jungles, des montagnes et des plages, des marchés et des jardins, des boulevards et des rues pavées, des immenses esplanades et des cours cachées, est devenu un gigantesque abattoir.

Et tout ça pour quoi ?

De l’autre côté du pont se trouve le marché gigantesque, l’insatiable machine à consommer qui fait naître la violence ici.

Les Américains fument de l’herbe, sniffent de la coke, s’injectent de l’héroïne, s’enfilent de la meth, et ensuite ont le culot de pointer le doigt vers le sud, avec mépris, en parlant du "problème de la drogue et de la corruption au Mexique."

Mais la drogue n’est plus le problème du Mexique, c’est devenu le problème de l’Amérique du Nord.

Quant à la corruption, qui est le plus corrompu ? le vendeur ou l’acheteur ? »

Et, plus loin :

« Ce n’est pas une guerre contre la drogue.

C’est une guerre contre les pauvres. »

Bibliographie

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